Samedi 11 avril 2015 à 17:55

Tout à l’heure je marchais au soleil chaud du boulevard,

sale et brut et suffoquant, et je pensais à toi,

qui suffoque, qui perd pied, 

j’ai perdu le talon gauche de ma chaussure,

Je claudique un peu, 

En marchant, et je pense à ton cerveau qui boîte, lui aussi,

de temps en temps,

Où vas tu mon repère, mon point d’ancrage,

sommes nous écrivains, poètes amis, ou juste,

miroirs de nos espérances ?

Viens à Bruges, à Berlin,

Je te suivrai comme tu t’en doutes,

comme nous nous faisons exister,

J’ai peur de pleurer ton corps couvert de cicatrices,

Ton humour grinçant,

L’affection que je te portes, Meaulnes,

L’affection que je te dois,

Quand tu m’as accueilli, couvert de haine,

comme tu n’as rien dit, juste,

fais état de ta grande carcasse malhabile,

toi qui savait, qui revenait de plus loin encore,

toi qui savait qu’il ne fallait rien dire,

abonder en mon sens,

attendre que j’arrête de trembler,

et fumer une cigarette,

Anaëlle est partie,

La haine revient, parfois, dans le gâchis de mes souvenirs,

Une amante dont j’ai oublié les contours,

Je suis comme un enfant calme, maintenant,

mais ne meurs pas,

n’arrête pas d’écrire, 

Je suis poète parfois et toi tu n’es rien d’autre,

Viens à Bruges, à Berlin,

écris, comparons nos poèmes,

Il n’y a plus de masure, sous les toits, plus assez d’alcool,

On peut guérir, je crois.

La tonalité fausse du métro, je lève les yeux pour t’attendre, 

Je t’attendais depuis longtemps déjà, 

Ramène ton grand corps d’écorché plein d’amour.

Samedi 20 septembre 2014 à 1:59

         "-Dis moi ce que tu préférais chez Gabriel.
Je ne me suis pas détourné. En fixant notre travail, j'ai tenté de me remémorer ce qui me plaisait vraiment chez lui.
-Je ne sais pas. Il avait huit ans quand je suis parti de chez mes parents. Je n'aimais rien de particulier, mais c'était mon frère. 
-Si tu n'as rien à pleurer, ne pleure pas. C'est aussi simple que ça. Tu l'as manqué. Ça m'avait l'air d'un garçon solide et heureux, et c'est le principal. 
Je n'avais rien de plus intelligent à répondre.
Après quelques minutes, elle m'a jeté un regard malicieux en désignant le tas de meubles.
-Ça donne envie d'y foutre le feu, tu ne trouves pas ? Moi j'ai envie d'y mettre le feu. 
Elle a disparu dans l'appenti pour en ressortir avec un jerrycane.
-Vingt ans de ma vie. Ça va être un sacré brasier. Tu veux répandre l'essence ? Château sans-plomb 95. Faut pas gâcher. 
Par saccades, j'ai jeté de l'essence sur le bois en faisant le tour de l'imposant amassis. J'ai posé le bidon à nos pieds en revenant vers elle. Elle fixait notre oeuvre, pensive. Avant de prendre son briquet, elle a lancé :
-Tu m'excuseras, mais je ne compte pas te laisser le plaisir d'allumer tout ça. 
-Ce sont vos meubles, après tout.
Elle s'est saisi d'un fond de chaise en paille pour y verser les dernières gouttes d'essence, et a rapproché la flamme de son briquet jusqu'à ce que la chaise s'embrase. Lorsqu'elle a été bien sûre que le feu ne s'éteindrait pas, elle a jeté le tout en haut du tas de bois. En quelques minutes, tout s'est embrasé. Nous sommes resté là à contempler le feu dans le soleil de midi, suant tous deux nos heures de travail et la chaleur qui se dégageait du brasier. Enfin, elle a dit :
-Tu sais ce qu'on fait là, Nathan ?
J'ai contemplé les flammes ronger minutieusement les morceaux de bois qui s'écroulaient les uns sur les autres dans de grands bruits indescriptibles.
-On renonce à un pan de nos vies ?
-Non. On a foutu le feu à un tas de bois. C'est tout.
Et puis, après un instant de silence :
-Disons que parfois lorsque la religion n'aide pas, ça fait du bien d'être un peu païen. C'est dans ces moments là qu'on voudrait faire notre deuil, je crois. Pas engoncée dans une belle robe à un enterrement trop cher.
Une grande fumée noire s'élevait en tourbillonnant du brasier. Je l'ai regardée.
-Vous êtes une grande dame.
-Non, je suis une vieille dame un peu folle qui vient de foutre le feu à la moitié de sa grange, et toi, il faut que tu commences à voir les choses comme elles sont, et pas autrement. Ton petit frère est mort sans que tu ai eu la chance de le connaître. C'est une saleté, mais il n'y a aucun moyen pour toi de refaire le trajet en sens inverse. Désigner les choses pour ce qu'elles sont vraiment, pas ce que tu aimerais qu'elles soient, ça c'est important. Essaye.
-Vous êtes une grande dame.
Elle m'a regardé en souriant, le visage roussi par les flammes.
-Tu es gentil.
 
 
 
 

Jeudi 8 mai 2014 à 16:57

 Elle avait le bras en écharpe. Rien de très grave, mais il fallait qu'elle fasse attention avec sa discipline sportive, qui avait tendance à la fatiguer musculairement. Elle n'était allé voir personne, je crois que c'est Bastien qui avait du lui nouer son bandage. Je me suis imaginé proche de son cou, en train de lui relever légèrement le bras pour faire passer la bande, et j'ai laissé la jalousie entreprendre un galop pointé dans mes veines. Une connaissance parisienne avait renoncé depuis bien longtemps aux docteurs, et allait uniquement se faire soigner chez une jeune femme mystique, qui selon lui récitait des incantations en frôlant son corps, lui parlait, longtemps, et finissait par allumer une cigarette en facturant la séance trop cher, dans un carnet de supermarché. Il était sorti de chez elle en se moquant d'elle et de lui-même, et puis il était revenu : Non pas que la médecine de cette femme ait plus marché qu'autre chose, mais il était tombé amoureux d'elle et de la manière dont elle ne le touchait jamais, de son mauvais papier et de ses prix exhorbitants. J'avais fait observer à l'époque que payer aussi cher pour se faire seulement frôler relevait d'une absurdité qui relevait bien du sentiment amoureux, et sans se démonter, il m'avait répondu qu'il avait l'impression de "se faire baiser l'âme". Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi, mais après avoir ri cyniquement, je lui ai demandé si elle exerçait loin d'ici, ce à quoi il m'a jeté un regard dégoûté avant de changer de sujet.

Jeudi 8 mai 2014 à 16:31

 Tu marchais hier, devant moi,
pleine de tout ce qui fait que je te regarde,
insoumise quand il faut,
suppliante, aussi, ça nous est arrivé,
tout nous est arrivé,
le bonheur des jours vides,
le bonheur des jours creux
inutiles aux yeux de tous,
perdus pour la majorité,
comme un secret pour nous,
comme une pâtisserie,
rester au lit et se chercher sous les couvertures,
et comme je t'attrape, tu te rends, 
tu ne te cachais pas si bien que ça,
les saules, les bruits d'orgue,
moi qui marche lentement dans les églises,
les clopes bras dessus bras dessous, 
j'ai rêvé que tu étais peintre, 
ou juste magnifique des fois 
dans les lumières du dimanche,
J'ai rêvé qu'on s'endormait épuisés, 
la sueur jusque dans nos yeux,
les mains sales et heureuses,
Quand reviens tu et où dois je te chercher,
Est-ce qu'on s'éteindra doucement, 
comme deux vieilles bougies laissées sur une table,
comme des tableaux d'une autre époque
que personne ne regarde plus ?
J'ai peur de l'oubli, des greniers, si je meurs,
si je meurs, qui te regardera ?
Les angoisses simples, pas besoin d'écrire beaucoup,
longtemps,
Ça colle toujours aux doigts, aux tempes,
Crever sans avoir pu t'écrire,
T'inventer,
C'est beaucoup mieux, là, dans les livres,
Le reste, dehors, là-bas,
ça ne vaut pas souvent le coup,
Mais quand ça le vaut, alors, alors,
ça explose, comme si trop longtemps tout avait été gris,
des couleurs, des couleurs partout,
cinq secondes, et puis tout s'éteint,
si tu n'étais pas là, c'est trop tard.
C'est mieux dans les livres, je crois,
Ou alors ne vis-je simplement pas,
comme il faudrait pour tout avoir,
Je crois que je ne saurai jamais, 
ou trop tard, assied-toi, en attendant, ouvre les yeux, et essaye de comprendre,
d'où viennent tes tâches de rousseur,
Je crois qu'avec toute cette violence,
cette horreur sourde,
qui dégouline, partout, 
et l'effroi banal, la terreur rentrée,
les gens qui sèchent sur pieds, 
tout autour et tous mort-nés,
Elles nous regardent, leurs vieilles rêveries,
leurs vieilles espérances,
elles nous contemplent, et elles ne sourient pas,
juste,
elles nous regardent, et elles laissent faire le temps,
avec tout ça,
je m'en contenterai bien, simplement,
de tes tâches de rousseur,
Je les compteraient peut-être, 
je les mangeraient, 
Et si je te dévore, le lendemain,
M'auras-tu pardonné ? 
Et si on se passe à côté, tu m'en voudras ?
Ce sera trop tard, mais je remarquerai quand même,
ta robe,
ton sourire jusque dans tes yeux,
Et tes dents qui hurlent après mon sexe.

Lundi 21 avril 2014 à 15:57

     Et les mots qui crèvent en pleine bouche,
laissent un gout de bile, et de bouffe,
acide, amer, où es tu, j'ai jeté,
tous les souvenirs, les vieilles histoires,
plus rien qui tient chaud au coeur,
plus rien du tout,
et ma mandoline joue toujours REM
toute seule, dans un coin,
je ne me regarde plus,
je me suis rasé le crâne,
pour changer,
tout le monde s'en fout,
les cigarettes ont toujours le même goût des choses perdues,
les gens avancent, boivent pas très fort,
comment font ils,
toujours dans ma vieille cachette ce parfum,
il y est encore, tu te souviens ?
quand je me vide seul, où es tu ? 
es tu seulement heureuse, pense tu à moi, parfois, 
près des banc, des parcs,
la rage reste la même, et parfois juste la désolation,
tout a disparu, il m'arrive d'être très heureux,
très joyeux, de rire très fort, sans penser à toi,
sans penser plus à rien,
Et toi, bordel, et toi ?
Ma mandoline joue toute seule,
des choses heureuses,
Ma mandoline qui abrite ton trésor,
Ma cachette, mon dernier souvenir de toi,
Bruges, Bruges, Berlin, n'importe où,
N'importe où mais ailleurs.

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